À la voile...

À la voile...
Sur notre CS-22 au réservoir Taureau

lundi 12 juillet 2010

Première navigation de nuit

Pour tous ceux qui se demandent encore ou nous avons finalement atterri hier. Et bien nous étions confortablement installés au seul port de refuge sur la côte de Charlevoix. Ce port est niché tout au bas d’une longue route escarpé à Cap-à-l’Aigle, quelques kilomètres à peine après La Malbaie. C’est d’ailleurs à cette dernière que nous sommes allés effectuer quelques achats nécessaires pour renouveler la cambuse et quelques autres bricoles. Un court saut à Pointe-au-Pic pour le dîner, une visite chez tante Diane et oncle Robert et retour au voilier vers 20 :00 heure. On doit se coucher tôt pour restaurer nos forces.



Après une des meilleures nuits de sommeil depuis le départ de Montréal il y a maintenant une semaine, nous finalisons les derniers préparatifs pour notre premier test de navigation de nuit, seuls, Chantal et moi, sur notre Lady Marianne. La météo a décidé de ne pas collaborer complètement. Qu’à cela ne tienne. Malgré les vents de 10 à 15 nœuds contraires annoncés, nous appareillons 13 :30 heure. Nous devons d’abord combattre un fort courant contraire ou l’absence de vent nous force à utiliser le moteur. Mais une fois arrivés au Gros Cap-à-l’Aigle, le nordest fait son apparition discrète et s’établit tranquillement. Vite, toutes voiles dehors et on tire de longs bords dans le chenal du nord. On se traîne à 4-5 nœuds, le voilier admirablement équilibré, pas besoin du pilote automatique, récemment réparé. Quelques heures plus tard, le jusant vient à notre rescousse pour nous permettre d’apercevoir St-Siméon à notre cinquième bord. Soudain, j’aperçois notre premier béluga. Vite! Les jumelles! Il s’agit d’une mère car apparaît bientôt un jeune reconnaissable à sa couleur nettement plus foncée différente du blanc caractéristique des adultes. Nous verrons aussi quelques têtes de phoques curieux venus observer cet étranger qui envahit leur royaume.

Mais le vent faiblit tel qu’annoncé. J’affale tout et démarre le moteur. C’est au ronronnement de celui-ci que se déroulera le reste de la soirée et la nuit. Le soleil prépare son spectacle quotidien et amorce sa descente derrière les montagnes de Baie-des-Rochers. Je vais tenter de dormir durant le quart de Chantal de 20 :00 heure à minuit.




Toc-e-toc-e-toc-e-toc-e-toc-e-toc-e-toc-e-toc-toc. Essayez de dire ça le plus vite possible et à voix haute. Encore plus vite! Vous avez maintenant une idée du bruit du moteur avec lequel j’ai du composé dans ma cage de fibre de verre! Ai-je vraiment dormi? Peut-être, peut-être pas. Néanmoins, Chantal me réveille avec un chocolat chaud et s’empresse de prendre ma place dans notre lit douillet préalablement réchauffé. Elle a complété son premier quart de soirée haut-la main ayant dû parer l’Île-Rouge dite l’île magnétique par les navigateurs du coin à cause de la tendance des courants à attirer les bateaux vers celle-ci.

Comme un cordon ombilical, je suis relié au voilier par ma ligne de vie. Il est 1 :45 heure du matin. Cassiopée droit devant l’étrave à une élévation d’environ 50 degrés, Forestville loin sur l’avant bâbord, Le Bic sur tribord, mon lecteur mp3 sur les oreilles, j’écoute Dark Side of the Moon. 173 pieds d’eau sous la quille, le fleuve défilant à 5.7 nœuds le long de la coque, mon premier quart de nuit. Difficile d’expliquer ce que je ressens présentement. Run, rabbit run… La mer est calme, un peu froissée par ce léger vent d’à peine 10 nœuds caressant ma joue gauche. Le voilier tangue légèrement. No one told you when to run, you missed the starting ground… et la guitare de Gilmour s’emballe… J’en oublie presque que je doive m’assurer que la voie est libre devant l’étrave. The Great Gig In The Sky avec cette voix de femme magnifique me prends aux tripes, m’élève, m’emporte et me dépose tout délicatement loin de tous mes soucis, mes peines, mes douleurs. Tiens, encore les larmes. Ensuite, voici le ketching, ketching de mon amie Judith avec les caisses enregistreuses, le saxophone et la guitare envoûtante de Money. Dommage qu’elle n’apprécie pas Pink Floyd, je devrai l’initier… This is a crazy proposal. Je me lève, vérifie le cap, rajuste de 10 degré sur tribord, attends quelques minutes et me rassois. Us and them, and after all, we’re just ordinary men… Graduellement, les rives s’estompent dans la ouate humide, les amers disparaissent un à un. Ne subsistent que de lointaines galaxies vers lesquelles pointe le mât. I’ll see you all on the dark side of the moon. You lock the door and throw away the key, there’s someone in my head but it’s not me… The sun is eclipsed by the moon

Voici enfin Rimouski dont j’apercevais le halo lumineux depuis longtemps déjà. On change d'artiste et de registre avec Cartier, Cartier, si t’avais navigué du côté de l’été, aujourd’hui on n’aurait pas besoin de porter une tuque sur le fleuve, je pourrais ôter mes combines, mon T-shirt, mon chandail à manches longues, mon polar, mon coupe-vent et mes gants…

Il est 3 :30 heure et j’entrevois déjà le ciel s’éclaircissant légèrement entre les nuages vers l’est. Officiellement, la fin de mon quart approche. J’ai toutefois dit à Chantal, qui a besoin de plus de sommeil que moi, que je la laisserais dormir si je me sentais bien à 4 :00 heure. Elle m’a fait promettre de la réveiller pour le lever du soleil. Je crois qu’elle veut le saluer. Je l’imagine sur la plage arrière, sur son tapis de yoga, emmitouflée de ses nombreuses épaisseurs tel le bonhomme Michelin, portant en plus tuque péruvienne et foulard, incapable même de se pencher Je souris. Un jour, je vous le promets, je vous prendrai quelques photos à son insu…

Le ciel se teinte progressivement d’une douce teinte rosée au nord-est. Les goélands argentés et les huarts à collier me saluent à grands renforts de cris. Comme les humains s’étirant au sortir du lit, ces oiseaux marins se secouent les ailes, y vont de quelques coups pour s’assurer que la mécanique fonctionne toujours et replie finalement leurs appendices, satisfaits. La nuit laisse doucement sa place au crépuscule.




Je dois aller réveiller ma tendre épouse. Si je lui fais manquer son lever de soleil, ce ne sera plus de la musique que j’aurai dans les oreilles…

Merci à tous ceux qui m'ont accompagné tout au long de cette nuit mémorable… Et bonne nuit.

Robert

6 commentaires:

  1. Quelle belle nuit! Merci de nous faire vivre (ou revivre) de tels moments.... Je te promets que je réessayerai du Pink Floyd en route vers la Gaspésie :-)

    Judith

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  2. Ma chère Judith,
    évidemment, je pourrais te faire écouter Dark side of the Moon. Tu pourrais ainsi trouver toutes les paroles citées dans mon texte ci-dessus. Toutefois, je préfèrerais débuter ton initiation Pink Floydesque avec la chanson Echoes sur l'album Meddle:

    Overhead the albatross hangs motionless upon the air
    And deep beneath the rolling waves
    In labyrinths of coral caves
    The echo of a distant tide
    Comes willowing across the sand
    And everything is green and submarine.

    Que pour citer les premières paroles. C'est un peu plus loin que tu pourras vraiment vivre une expérience inoubliable...

    Robert XX

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  3. Message pour Aimée.
    L'éloquence de ton commentaire me scie littérallement les deux jambes ;o)
    J'avoue cependant que j'aimerais connaître un peu plus le fond de ta pensée. Wow pour les photos? Wow pour le texte? Wow pour la musique? Wow pour l'ensemble de l'oeuvre?
    De mon côté, j'étais bien fier de mon moment d'inspiration menant à ce texte.

    Grosses bises,

    Robert

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  4. Le paragraphe commencant par : "Comme un cordon ombilical" je l ai trouvé vraiment magnifique! L enchainement des infos de navigation avec les titres de chansons les bribes de description et l émotion qui filtre au travers de tout ca; ca q qqch de vraiment poetique. Le texte en entier; en fait; est vraiment venu me chercher.

    C est toujours un plaisir de vous lire tous les deux!

    Aimée

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