À la voile...

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Sur notre CS-22 au réservoir Taureau

samedi 12 juin 2010

Mon vélo


Une relation, ma foi tout à fait banale à l’origine, débutait à l’été 78. J’avais alors 14 ans et je terminais un été de dur labeur chez les Mailhot, une famille d’agriculteurs de St-Alexis-de-Montcalm. Quoique saisonnier, c’était mon premier vrai emploi. J’y avais gagné quelques centaines de dollars à cueillir des fraises à quatre pattes dans la boue matinale et des concombres couchés à plat ventre sur une planche de bois mal rembourrée portant des gants à vaisselle à longueur de journée. Après avoir payé mes vêtements et livres pour l’année scolaire à venir, je décidais d’utiliser le restant de mes économies pour faciliter mes déplacements vers cette même ferme qui serait mon employeur au cours des 2 prochains étés. Il faut dire que faire une dizaine de kilomètres chaque jour sur un « mustang à siège banane» a de quoi faire réfléchir…


Fin août, je me présente donc chez A. Vincent Bicycles (Ababou Vincent pour les intimes…) à Joliette avec mon père pour me payer ce vélo tant convoité, le premier article à vie que je m’achète suite à un emploi. Le vendeur tente de me séduire avec ses spéciaux de fin de saison espérant écouler ses restants de marchandise mais je ne démords pas : je veux un Peugeot 10 vitesses rouge. Il ne lui reste plus qu’un seul Peugeot et, il est blanc… Et bien, mon futur vélo sera donc blanc! C’était le début d’une grande aventure…


Évidemment, j’ai pu faire mon frais pendant les 2 étés suivants dans les rangs du Cordon et la Petite-Ligne en allant travailler aux champs avec mon « bécike » neuf mais c’est vraiment en juin 82 qu’une relation spéciale s’est installée entre nous. Ce dernier m’entraînait alors dans une randonnée de plus de 1000 km en deux semaines à travers plusieurs régions pittoresques du Québec. Avec plus de 50 livres de matériel, de vêtements et de nourriture dans nos sacoches de voyage nous avalions les kilomètres d’asphalte. Que de souvenirs mémorables nous partageons; comme cette crevaison de la roue arrière entre Grande-Piles et La Tuque ou je me suis retrouvé sur la ligne centrale de la route en moins de temps qu’il n’en faut pour crier ciseau, ces camionneurs insouciants entre Chambord et Jonquière nous projetant sur l’accotement en gravier par le déplacement d’air de leurs mastodontes transportant « de la ripe » de bois, ce couteau planté au milieu d’une table à pique-nique en bois pour éloigner une bande de jeunes un peu trop « barbeux » près de Sacré-Cœur, ce souper de spaghettis blancs avalé à la brunante dans une halte routière près de St-Siméon parce que la sauce avait été renversée par mégarde dans le feu, cette nuit passée à la belle étoile sur les plaines d’Abraham parce que nous n’avions pas assez d’argent pour nous offrir une auberge de jeunesse, ces vibrations assourdissantes en pleine nuit d’un train passant à moins de 100 pieds de notre tente montée en cachette aux abords d’un champ de mais près de Yamachiche. Avec plus un sou en poche, j’avais emprunté $20 à ma tante Sylvie à La Malbaie pour qu’Alain et moi puissions rallier Ste-Julienne, notre point de départ. C’est ce que nous avons réussi en quatre jours…


Bien au-delà des souvenirs nostalgiques, cette randonnée initiatique m’a surtout démontré les bienfaits de la lenteur. Évidemment, cela demandait un certain effort physique quotidien mais c’était relativement peu payer pour apprendre à prendre mon temps, pour sentir les odeurs de foin fraîchement coupé, pour observer le troupeau de vaches placides mâchouillant les herbes dans les champs, pour entendre les cris du carouge à épaulettes perché sur la clôture en bordure de la route, pour apprécier le vent caressant ma longue chevelure bouclée d’époque.


Suite à cette escapade estivale déterminante, je suis entré à vive allure dans la vie universitaire, et ensuite le tourbillon quotidien me happa. Mon partenaire à deux roues fût plus ou moins remisé sauf pour quelques rares excursions d’à peine quelques kilomètres. Il rongeait son frein en silence… J’avais complètement oublié le plaisir de rouler… Cela dura plus de 25 ans…


La vie me rappela soudain à l’ordre. Sans avertissement aucun, un cri déchirant et profond se fit entendre l’été dernier. Un urgent besoin, à l’époque totalement incompréhensible, me poussa à reprendre le guidon de ma vie et pendant plusieurs mois jusqu’aux premières neiges automnales, je partageai à nouveau pratiquement quotidiennement la route avec mon compagnon d’antan. Mon confident silencieux écouta patiemment mes lamentations douloureuses, essuya avec une douceur infinie mes larmes. Caché pendant le dernier hiver, cet ami veut maintenant me réapprendre les bienfaits de la lenteur…

Robert

1 commentaire:

  1. Je n'avais jamais vu ces photos et jamais entendu grand-chose sur cette expédition... Contente de pouvoir en profiter ici!

    Geneviève

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